Chapitre 3

 

 

Sale, avait dit Dolph. C’était un doux euphémisme. Il y avait du sang partout, constellant les murs blancs comme après l’explosion d’un bidon de peinture rouge. Le drap qui dissimulait en grande partie un canapé blanc cassé à fleurs brunes et dorées en était complètement imbibé.

Un carré de lumière se découpait par la fenêtre, faisant briller les flaques poisseuses telle de la laque cerise. En grande quantité, le sang frais a une couleur beaucoup plus vive que celui qu’on montre à la télé ou au cinéma. Comme les camions de pompiers. Mais le rouge foncé passe mieux à l’écran. Voilà pour le réalisme !

Le sang que j’avais sous les yeux était répandu depuis un moment et il aurait dû se ternir. Mais l’éclat du soleil estival donnait l’impression qu’il était encore liquide. Je déglutis et pris une inspiration pour me calmer.

— Je te trouve un peu verdâtre, Blake, dit une voix près de moi.

Je sursautai, et Zerbrowski éclata de rire.

— Je t’ai fait peur ?

— Non, mentis-je.

L’inspecteur Zerbrowski mesurait un peu moins d’un mètre soixante-dix. Il avait des cheveux bruns bouclés qui viraient au gris, et des lunettes à monture noire encadraient ses yeux noisette. Son costume marron était froissé, et une tache de sauce s’étalait sur sa cravate jaune.

— Je t’ai eue, Blake, reconnais-le. Ne me dis pas que notre féroce chasseuse de vampires va vomir sur les victimes ?

— Tu as pris un peu de poids, non ? répliquai-je.

— Touché. (Il porta les mains à sa poitrine et fit mine de vaciller.) Dois-je en conclure que mon corps d’athlète ne te fait pas fantasmer ?

— Laisse tomber, Zerbrowski. Où est Dolph ?

— Dans la chambre à coucher. (Il leva les yeux vers la verrière du plafond.) J’aimerais bien qu’on puisse s’offrir un endroit pareil, Katie et moi.

— C’est pas mal, reconnus-je.

J’étudiai le canapé. Le drap collait à la masse qu’il dissimulait comme une nappe à une tache de jus de fruit. Mais quelque chose clochait. Je fronçai les sourcils. Il n’y avait pas assez de bosses là-dessous pour un corps humain entier. Autrement dit, il manquait des morceaux.

La pièce tangua autour de moi, et je détournai le regard. Ça faisait des mois que je n’avais pas gerbé sur les lieux d’un crime. Par bonheur, la climatisation était branchée. La chaleur a tendance à aggraver la puanteur.

— Blake, tu as besoin de faire un petit tour dehors ? demanda Zerbrowski en me prenant le bras.

— Merci, ça ira, mentis-je en le regardant droit dans les yeux.

Ça n’allait pas du tout, mais je ferais avec. Zerbrowski me lâcha, fit un pas en arrière et m’adressa un salut moqueur.

— J’aime les nanas solides.

Je ne pus m’empêcher de sourire.

— Tu vas décamper, oui ?

— Dolph est au bout du couloir. La dernière porte à gauche.

Zerbrowski s’éloigna en fendant la foule.

Il y a toujours des tas de gens sur les lieux d’un crime, pas forcément des curieux mais des flics, des infirmiers, des techniciens et un type avec une caméra vidéo. Ça ressemble à un essaim d’abeilles bourdonnant d’activité, et je m’y sens toujours un peu à l’étroit.

Je traversai le couloir. J’avais épinglé un badge d’identification sur le col de ma veste bleu marine, primo pour que les flics sachent que j’étais de leur côté, secundo pour qu’ils ne s’offusquent pas de me voir porter une arme.

Je jouai des coudes pour me frayer un chemin entre les gens massés au milieu du couloir.

— Mon Dieu, regardez tout ce sang…

— A-t-on retrouvé le cadavre ?

— Tu veux dire, ce qu’il en reste ? Non.

Je me faufilai entre deux flics.

— Hé ! cria l’un d’eux.

Je trouvai un espace dégagé devant la dernière porte, sur la gauche. J’ignorais comment Dolph s’y était pris, mais il était seul à l’intérieur. Les autres avaient peut-être déjà terminé.

Dolph était agenouillé sur la moquette brun pâle. Il avait des cheveux noirs coupés si court qu’on ne voyait que ses oreilles de chaque côté de son visage. En m’apercevant, il déplia ses deux mètres de carcasse et de muscles. Derrière lui, le lit à baldaquin parut rétrécir.

Dolph est le chef d’un nouveau service de police : la Brigade d’Investigations surnaturelles, où échouent tous les fauteurs de troubles. Je ne me suis jamais demandé ce que Zerbrowski a pu faire pour se retrouver là. Il a un sens de l’humour bizarre et une langue trop bien pendue. Mais Dolph… C’est un flic parfait. Sa conscience professionnelle a dû offenser quelqu’un d’un peu trop haut placé. Je ne vois pas d’autre explication.

Un autre petit tas recouvert d’un drap reposait sur le sol près de lui.

— Anita.

Dolph économise toujours ses mots comme si on les lui facturait à l’unité.

— Dolph.

Il s’agenouilla de nouveau.

— Tu es prête ?

— Je sais que tu n’es pas bavard, mais peux-tu me dire ce que je suis censée chercher ?

— Je veux savoir ce que tu vois, pas te dire ce que tu es censée voir.

Un véritable discours, venant de lui.

— Vas-y !

Il retira le drap qui adhérait à une masse sanglante. J’eus beau écarquiller les yeux, ce fut tout ce que je distinguai : une masse de viande sanglante qui aurait très bien pu provenir d’une vache, d’un cheval ou d’un cerf. Mais d’un humain ? Sûrement pas.

Mes yeux le voyaient, mais mon cerveau refusait de l’enregistrer. Je m’accroupis en tirant sur ma jupe. Sous mes pieds, la moquette émit un bruit mouillé comme si elle était imbibée d’eau. Sauf que ça n’était pas de l’eau.

— Je peux t’emprunter une paire de gants ? J’ai laissé mes affaires au bureau.

— Poche de droite, dit Dolph en levant les mains. (Il y avait des traces de sang sur ses gants de chirurgien.) Sers-toi. Ma femme déteste que je salope les costumes qui se nettoient à sec.

Je ne pus m’empêcher de sourire. Il y a des moments où le sens de l’humour est la seule chose qui vous empêche de basculer dans la folie.

Je péchai deux gants de caoutchouc taille unique dans la poche de Dolph et y glissai les mains. J’ai toujours l’impression qu’ils sont talqués à l’intérieur. Ils me font penser à des préservatifs pour les doigts.

— Je peux le toucher sans risques pour les indices ?

— Oui.

J’enfonçai mon index dans la masse sanguinolente. Au toucher, elle ressemblait à un quartier de bœuf. Ferme et juteuse. Sous la chair, je sentis des os recourbés, sans doute des côtes. Alors, je compris ce que j’avais sous les yeux.

Une cage thoracique humaine. Il y avait un moignon à l’endroit où le bras gauche avait été arraché. Je me relevai précipitamment, et la moquette clapota sous mes pieds.

Soudain, j’avais très chaud. Je me détournai, faisant face à une commode éclaboussée de sang. On eût dit que quelqu’un s’était amusé à la badigeonner de vernis à ongles rouge. Cerise Griotte, Carnaval Ecarlate ou Femme Fatale.

Je fermai les yeux et comptai lentement jusqu’à dix. Quand je les rouvris, il me sembla que la température avait baissé. Je remarquai pour la première fois l’énorme ventilateur qui brassait de l’air au plafond. Tout allait bien. Je maîtrisais la situation.

Dolph ne fit pas de commentaire quand je m’agenouillai de nouveau près du corps. Brave type.

Je tentai d’être objective et de voir ce qu’il y avait à voir, mais c’était dur. J’aime mieux les pièces détachées quand je n’arrive pas à les identifier. Et quand je n’imagine pas les autres morceaux auxquels elles étaient associées autrefois.

— Aucune marque d’arme, mais il faudra attendre la confirmation du médecin légiste.

Je tendis la main, puis me ravisai.

— Tu pourrais m’aider à le soulever, histoire que je jette un coup d’œil à l’intérieur ?

Dolph obtempéra. Les restes étaient plus légers qu’ils n’en avaient l’air. Pour une bonne raison : tous les organes vitaux qu’ils auraient dû contenir avaient disparu.

— C’est bon, soufflai-je. Tu peux le recouvrir.

Dolph s’exécuta et se releva.

— Alors, ta première impression ?

— Le coupable devait avoir une force inhumaine pour déchirer un cadavre à mains nues.

— À mains nues ?

— Il n’y a pas de marques de couteau. (Un éclat de rire hystérique s’étrangla dans ma gorge.) J’ai d’abord cru que quelqu’un avait utilisé une scie pour le découper, mais les os… (Je secouai la tête) Le tueur ne s’est servi d’aucun instrument.

— Autre chose ?

— Ça dépend. Où est le reste du corps ?

— Deuxième porte à gauche. La température recommençait à monter.

— C’est pas vrai…

— Va jeter un coup d’œil et dis-moi ce que tu vois.

— Dolph, je sais que tu n’aimes pas influencer tes experts, mais je déteste les surprises. Surtout quand elles sont mauvaises.

Il me fixa en silence.

— Réponds au moins à une question : c’est pire qu’ici ?

Il fit mine de réfléchir.

— Oui et non.

— Va te faire foutre !

— Tu comprendras après l’avoir vu.

Je n’avais pas envie de comprendre. Bert avait été ravi que la police m’engage comme experte. D’après lui, ça me permettrait d’acquérir une expérience précieuse. Mais tout ce que j’ai gagné, jusqu’à maintenant, c’est une plus grande variété de cauchemars.

 

Dolph me précéda dans la deuxième chambre des horreurs. Je n’avais aucune envie de contempler le reste du corps. Je voulais juste rentrer à la maison.

Il hésita devant la porte fermée, sur laquelle était collé un lapin de Pâques en carton. Au-dessus, une broderie au point de croix indiquait « Chambre de Bébé ».

— Dolph…

— Oui ?

— Rien.

J’expirai lentement. Je pouvais le faire. Ô mon Dieu, je ne voulais pas le faire ! Je chuchotai une prière entre mes dents alors que la porte s’ouvrait vers l’intérieur. Il y a des moments, dans une vie, que seul un petit coup de pouce céleste permet de traverser. Et j’avais l’impression que ça allait être un de ceux-là.

Le soleil entrait à flots par une petite fenêtre. Des canetons et des lapereaux étaient brodés au bas des rideaux. Des pochoirs en forme d’animaux décoraient les murs bleu pâle. Il n’y avait pas de berceau, juste un lit à barreaux. Et pas la moindre trace de sang, merci mon Dieu. Qui a dit qu’on ne reçoit jamais de réponse à ses prières ?

Puis j’aperçus un nounours couvert d’un nappage rouge comme une pomme d’amour. Un de ses yeux de verre ronds me fixait d’un air étonné au milieu de sa fourrure poisseuse. Je m’agenouillai près de lui. Cette fois, la moquette ne glouglouta pas. Que faisait ce maudit jouet imbibé de sang, alors qu’il n’y en avait nulle part ailleurs dans la pièce ? Quelqu’un l’avait-il posé là ?

Levant les yeux, j’avisai une petite commode de bois blanc avec des lapins peints sur les tiroirs. Quand on a choisi un thème, on s’y tient. Sur la peinture se détachait une empreinte minuscule mais parfaite. Je m’en approchai à quatre pattes et levai la main pour comparer les tailles.

J’ai des petites mains, même pour une femme. Cette empreinte devait appartenir à un enfant de quatre ans. Un garçon, à en juger par la couleur des murs.

— Quel âge avait le gamin ?

— D’après une photo que nous avons trouvée dans la salle à manger, il s’appelait Benjamin Reynolds et il avait trois ans.

— Benjamin, chuchotai-je. Il n’y a pas de corps dans cette chambre. Personne n’a été tué ici.

— Non.

— Dans ce cas, pourquoi voulais-tu me la montrer ?

— Parce que tu ne peux pas me donner d’opinion valable si tu ne disposes pas de tous les éléments.

— Ce fichu nounours hantera mes nuits.

— Les miennes aussi.

Je me relevai en résistant à l’envie de lisser ma jupe. Vous ne me croiriez pas si je vous disais combien de fringues j’ai bousillées en y faisant des taches de sang par inadvertance. Mais pas aujourd’hui.

— C’est le corps du gamin qui est dans la salle à manger ? demandai-je en priant pour que ça ne soit pas le cas.

— Non.

Merci encore, mon Dieu.

— Celui de la mère ?

— Oui.

— Où est le gamin ?

— Nous l’ignorons. (Dolph hésita, puis demanda :) Tu crois que la créature aurait pu le bouffer entièrement ?

— Pour qu’il n’en reste rien ?

— Oui.

Je le trouvais un peu pâle tout à coup, mais ça n’était sans doute rien comparé à moi.

— C’est possible, mais même les morts-vivants n’ont pas un appétit illimité. (Je pris une inspiration.) Avez-vous découvert des signes de… régurgitation ?

Il sourit.

— Joli mot. Non, elle ne l’a pas mangé pour le vomir ensuite. Enfin, pas à notre connaissance.

— Dans ce cas, il doit être quelque part.

— Se pourrait-il qu’il soit encore vivant ?

J’avais envie de dire oui, mais je savais que la réponse était sans doute négative. J’optai pour un compromis.

— Peut-être. Dolph hocha la tête.

— On retourne dans la salle à manger ? proposai-je.

— Non.

Il sortit de la pièce sans autre explication. Je le suivis. Que pouvais-je faire d’autre ? Mais je ne me dépêchai pas. S’il voulait jouer les durs silencieux, il attendrait que je le rattrape.

Nous entrâmes dans la cuisine. Une porte de verre coulissante, brisée en mille morceaux, donnait sur une terrasse de bois. Il y avait une autre verrière au plafond. Toute la pièce était immaculée comme une photo de magazine de déco, avec du mobilier en bois clair et de petits carreaux bleus sur les murs.

— Très joli, commentai-je.

Les enquêteurs s’étaient déplacés dans le jardin. La palissade qui l’entourait les protégeait des regards curieux des voisins comme elle avait dû protéger le meurtrier, la veille. Il ne restait qu’un inspecteur adossé à l’évier de chrome étincelant, en train de griffonner sur un calepin.

Dolph me fit signe d’approcher.

— La créature est entrée en fracassant la vitre. Même avec la clim allumée, ça a dû faire un sacré boucan. Les voisins n’ont rien entendu ?

— Pas d’après leurs déclarations. Je hochai la tête.

— Le mari est sans doute venu voir ce qui se passait. Les stéréotypes ont la vie dure.

— Hein ?

— Tu sais bien. Le coup du chasseur qui protège sa famille !

— Admettons. Et ensuite ?

— Le mari aperçoit la créature et crie pour avertir sa femme. Il lui dit de filer et d’emmener leur fils.

— Pourquoi n’appelle-t-il pas la police ?

— Je n’ai pas vu de téléphone dans sa chambre, dis-je en désignant le combiné fixé au mur de la cuisine. Et pour atteindre celui-là, il aurait fallu qu’il passe devant le croque-mitaine.

— Continue.

Je regardai la salle à manger. Le canapé était à peine visible.

— La créature neutralise le mari, mais elle ne le tue pas.

— Qu’est-ce qui te permet de dire ça ?

— Tu me prends pour une débutante ? Il n’y a pas assez de sang ici. Il s’est fait bouffer dans sa chambre, où il avait dû se réfugier. La créature l’aura poursuivi jusque-là.

— Pas mal. Maintenant, repassons dans la salle à manger.

La moitié supérieure du corps de la femme était presque intacte. Des sacs en papier enveloppaient ses mains. Les flics avaient récolté des échantillons sous ses ongles. J’espérais que ça nous mettrait sur la voie.

Ses grands yeux bruns écarquillés fixaient le plafond. Sa veste de pyjama était gluante à l’endroit où son corps avait été sectionné, au niveau de la taille. Je déglutis et, du bout de l’index, la soulevai prudemment.

Sa colonne vertébrale luisait au soleil, tel un fil électrique arraché à sa prise.

— La créature l’a déchiquetée comme son mari.

— Comment sais-tu que le morceau d’en haut appartenait à un homme ? demanda Dolph.

— À moins qu’ils aient eu de la visite, ça devait forcément être le mari. Ils n’avaient pas de visite, n’est-ce pas ?

Dolph secoua la tête.

— Pas que nous sachions.

— Dans ce cas, ça doit être le mari. Parce qu’elle a toujours sa cage thoracique et ses deux bras. (Je tentai de réprimer ma colère.) Je ne suis pas un de tes subalternes. Cesse de me poser des questions dont tu connais déjà la réponse.

— Désolé. Parfois, j’oublie que tu n’es pas un de mes gars.

— Merci du compliment.

— Tu vois ce que je veux dire.

— Ouais. Mais on pourrait terminer cette discussion dehors, s’il te plaît ?

— Bien sûr.

Dolph ôta ses gants ensanglantés et les jeta dans un sac-poubelle ouvert, posé sur le plancher de la cuisine. J’en fis autant.

Lorsque je sortis dans le jardin, la chaleur se referma sur moi comme du plastique fondu. Mais d’une certaine façon, je la trouvais agréable. Propre. J’aspirai de longues goulées d’air brûlant. Ah, l’été…

— Alors, j’avais raison : le meurtrier n’était pas humain, dit Dolph.

Deux flics en uniforme empêchaient la foule d’entrer dans le jardin et la maison. Parents et enfants, gamins à bicyclette… Un véritable attroupement s’était formé, comme devant une baraque de foire.

— Non, il n’était pas humain, confirmai-je. Il n’y avait pas de sang sur les débris de verre.

— J’ai remarqué aussi. Qu’est-ce que ça signifie ?

— La plupart des morts ne saignent pas, à l’exception des vampires.

— La plupart ?

— Les zombies récemment relevés peuvent le faire. Mais les vampires saignent autant que toi et moi.

— Dans ce cas, ça ne peut pas être l’un d’eux.

— D’autant plus qu’ils sont incapables de digérer de la nourriture solide, et que notre meurtrier a dévoré la chair de ses victimes.

— Une goule, alors ? Je secouai la tête.

— La maison est trop loin d’un cimetière, et pas assez ravagée. Une goule aurait brisé les meubles comme un animal sauvage.

— Un zombie ? avança Dolph.

— Honnêtement, je n’en sais rien. Certains consomment de la chair humaine, mais c’est assez rare.

— Tu m’as dit qu’il existait trois cas connus, et que chaque fois, ces zombies étaient restés humains plus longtemps et n’avaient pas pourri.

Je souris.

— Tu as une bonne mémoire. C’est exact. Les zombies mangeurs de chair ne pourrissent pas tant qu’on les nourrit. Ou au moins, pas aussi rapidement.

— Sont-ils violents ?

— Seulement si on le leur ordonne.

— Que veux-tu dire ?

— Un réanimateur assez puissant peut demander à un zombie de tuer pour lui, mais… D’abord, je ne suis pas certaine que ça ait été le cas ici. Ensuite, aucun réanimateur que je connais et qui en serait capable ne ferait une chose pareille.

— Je préfère vérifier, dit Dolph en sortant un calepin de sa poche.

— Tu veux que je te donne le nom de mes contacts professionnels pour leur demander s’ils n’auraient pas utilisé un zombie comme arme d’un crime ?

— C’est ça.

— Je n’arrive pas à y croire. Mis à part moi… Manny Rodriguez, Peter Burke et… Je m’interrompis.

— Et qui ?

— Et personne. Je viens de me souvenir qu’il faut que j’assiste à l’enterrement de Burke cette semaine. Puisqu’il est mort je pense que tu peux le rayer de la liste des suspects.

Dolph me regarda, l’air sceptique.

— Tu es certaine de ne pas avoir d’autres noms à me donner ?

— Si je pense à quelqu’un, je te le ferai savoir, promis-je en écarquillant de grands yeux innocents. Dolph secoua la tête.

— Qui protèges-tu ?

— Moi.

Il fronça les sourcils.

— Disons que je ne veux pas qu’une certaine personne se fâche contre moi.

— Qui ? insista Dolph.

Je levai la tête vers le ciel parfaitement dégagé.

— Tu crois qu’il va pleuvoir ?

— Putain, Anita, j’ai besoin de ton aide !

— C’est déjà fait.

— Je veux parler du nom.

— Attends un peu. Je vais vérifier moi-même, et si je trouve quelque chose, je te mettrai sur le coup.

— C’est très généreux de ta part, grogna Dolph.

Son teint virait à l’écarlate. Je ne l’avais jamais vu en colère, mais je soupçonnais que ça n’allait plus tarder.

— La première victime était un SDF. Nous avons pensé qu’il était tombé dans un coma éthylique et que des goules l’avaient eu. D’autant plus que son corps a été découvert tout près d’un cimetière.

Sa voix se faisait un peu plus forte à chaque mot.

— Ensuite, il y a eu les deux adolescents qui se pelotaient dans la voiture du garçon, toujours dans le voisinage du cimetière. Nous avons fait appel à un exterminateur et à un prêtre, mais cette affaire a été classée aussi vite que la précédente.

Il baissa la voix, mais sa colère était encore audible quand il continua :

— Et maintenant, ça. C’est la même créature, j’en suis certain. Et pourtant, nous sommes à des kilomètres du cimetière le plus proche. Ce n’est pas une goule, et si je t’avais appelée les deux fois précédentes, cette boucherie n’aurait peut-être pas eu lieu. Je commence à mieux comprendre le surnaturel, mais ça ne suffit pas encore.

Il serrait son calepin assez fort pour en faire du papier mâché.

— C’est le plus long discours que je t’aie jamais entendu prononcer, dis-je.

Il eut un petit rire, puis retrouva aussitôt son sérieux.

— J’ai besoin de ce nom, Anita.

— Dominga Salvador. C’est la grande prêtresse vaudou du Midwest. Mais si tu lui envoies des flics, elle ne parlera pas. Il vaut mieux que tu me laisses faire.

— D’accord. Mais je veux un rapport complet d’ici demain.

— Je ne sais pas si je pourrai arranger un rendez-vous aussi rapidement.

— Si tu ne t’en charges pas, je le ferai.

— Bon, je vais me débrouiller.

— Merci, Anita. Ça nous fait au moins un point de départ.

— Tu sais, Dolph, ça pourrait très bien ne pas être un zombie.

— Quoi d’autre ?

— S’il y avait eu du sang sur le verre, je pencherais pour un lycanthrope.

— Il ne manquait plus que ça : un métamorphe en liberté.

— Mais il n’y avait pas de sang, lui rappelai-je, donc je penche plutôt pour un mort-vivant.

— Très bien. Tu parles à Dominga Salvador et tu me rappelles le plus vite possible.

— Entendu, sergent.

Dolph retourna dans la maison. Je ne l’enviais pas du tout, même si j’avais une soirée chargée en perspective : trois clients attendaient que je les relève.

Le thérapeute d’Ellen Grisholm pensait qu’une confrontation avec son père lui serait bénéfique. Le problème, c’était que ce bourreau d’enfants avait rendu l’âme quelques mois auparavant. J’allais donc le ranimer pour que sa fille puisse le traiter d’enfoiré. D’après le psy, ça lui ferait beaucoup de bien.

Les deux autres cas étaient un peu plus classiques : un testament contesté, et le témoin clé d’un procès qui avait eu le mauvais goût de succomber à une crise cardiaque avant l’audience. La loi ne reconnaissait pas encore le témoignage d’un zombie, mais ces gens étaient assez désespérés pour tenter le coup, et ils avaient de quoi payer.

Debout dans l’herbe desséchée, je me réjouis de constater que les Reynolds n’étaient pas des maniaques des sprinklers. Un tel gaspillage d’eau… Peut-être recyclaient-ils leurs vieux journaux et leurs bouteilles en plastique. Peut-être étaient-ils de braves gens, un peu écolos de surcroît. Ou peut-être pas…

Un des flics souleva le ruban de plastique jaune qui délimitait les lieux du crime pour me laisser passer. Ignorant les regards curieux des voisins, je montai dans ma vieille Nova. J’avais de quoi me payer une bagnole en meilleur état, mais tant que celle-là fonctionnait, je n’en voyais pas l’intérêt.

Le volant était brûlant. Je mis le contact et poussai la clim à fond. Je n’avais pas menti à Dolph : Dominga Salvador refuserait de parler à la police, mais ce n’était pas pour ça que j’avais des réticences à mentionner son nom.

Si les flics allaient frapper à sa porte, la Señora voudrait savoir qui les avait dirigés vers elle. Et elle n’aurait pas de mal à le découvrir. Or, c’était la prêtresse vaudou la plus puissante que j’aie rencontrée. Transformer un zombie en arme n’était qu’un des exploits dont elle serait capable si l’envie lui venait.

Il existe des tas de créatures bien plus déplaisantes qu’un zombie… et la Señora en a inventé la plupart. Je ne voulais pas que l’une d’elles s’introduise dans ma chambre en pleine nuit. Me mettre Dominga Salvador à dos aurait été une très mauvaise idée.

Donc, il fallait que je trouve un moyen de lui parler dès le lendemain, ce qui équivalait à obtenir un rendez-vous avec le parrain du vaudou. Ou, dans ce cas précis, la marraine.

Pour tout arranger, je n’étais pas dans ses petits papiers. Dominga m’avait invitée plusieurs fois chez elle, pour assister à des cérémonies, et j’avais toujours poliment refusé. Elle avait semblé très déçue que je sois chrétienne. Mais jusqu’ici, j’avais réussi à éviter un face-à-face.

J’allais demander à la prêtresse vaudou la plus puissante des États-Unis – et peut-être de l’Amérique du Nord – si elle ne venait pas de relever un zombie, et si ce zombie n’était pas occupé à buter des gens sur ses ordres. Je devais être un peu cinglée, finalement.

Le lendemain s’annonçait encore comme une journée chargée.

Anita Blake, Tome 02 : Le Cadavre Rieur
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